Doute vaccinal : en finir avec une exception française
Reda Guiha, président de Pfizer France, analyse les causes de cette méfiance bien ancrée au pays de Pasteur et envisage des solutions pour rétablir un réflexe de confiance.
Combien de temps la France restera-t-elle championne du monde du doute vaccinal ? Quand la World Health Organization décrit l’hésitation vaccinale comme allant de l’acceptation totale au refus catégorique, la France se caractérise par un doute particulièrement ancré dans la société. Dans le cadre d’un sondage Statista de 2023, 25% des Français interrogés déclaraient douter de la sûreté des vaccins.
C’est là un paradoxe français : terre d’innovations médicales majeures, dont l’un des premiers vaccins au monde en 1885 grâce à Louis Pasteur, et dans le même temps, terre de réticences persistantes envers la vaccination. D’un côté, nous sommes à l’origine de percées scientifiques décisives, et d’un autre, la confiance dans ces avancées reste fragile lorsqu’il faut passer à l’action.
La vaccination est, dans beaucoup de pays, un réflexe collectif. Du côté de nos voisins européens, on peut citer le Portugal où la confiance en la sûreté des vaccins s’élevait en 2022 à 93%. Si l’on pousse notre regard plus loin, le nombre de femmes de 18-24 ans infectées par les papillomavirus (HPV), à l’origine de cancers du col de l’utérus, est passé en Australie de 22,7% en 2005 à 1,5% en 2015. L’espoir d’une éradication du cancer de l’utérus à horizon 2035 est par conséquent plus perceptible que jamais en Australie grâce à cette vaccination. C’est le cas dans de nombreux autres pays, comme le Danemark à horizon 2040 ou la Suède à horizon 2027... mais pas en France.
On peut donc se poser la question de l’origine de cette défiance française à l’égard des vaccins. Comment renverser la tendance ? L’enjeu est clair : la vaccination ne peut pas rester une affaire d’individus. Elle est un rempart collectif contre de nombreuses maladies particulièrement menaçantes, mais évitables, et le risque pour la population grandit à mesure que ce rempart se fissure.
La décision vaccinale est multifactorielle
La défiance envers la vaccination a des racines profondes en France. Elle s’est forgée depuis 1990, et s’est exacerbée au fil de controverses ou d’épisodes historiques. On peut penser aux suspicions de liens entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaques au début des années 2000. On pense également à la confiance ébranlée lors de l’épidémie de grippe H1N1 en 2009, qui a soulevé de nouvelles questions sur la sécurité des vaccins pandémiques. Plus récemment, on ne peut ignorer l’augmentation des refus de vaccination durant la crise du COVID-19.
Cette défiance a également des explications culturelles. Les travaux de Jocelyn Raude en 2023 ont montré comment l’autonomisation des décisions de santé des individus, notamment via l’automédication, renforce les biais cognitifs et le scepticisme vis-à-vis des institutions médicales. En France, les campagnes de vaccination ont souvent été associées à l’Etat-providence, laissant de côté la responsabilité individuelle. Dans d’autres pays, la responsabilité individuelle au service de l’intérêt collectif est plus ancrée dans les mentalités. Cette tendance, plus récente chez nous, à l’autonomisation, alimente la profusion d’informations plus ou moins vérifiées, et parfois une prise de décision irrationnelle, dans un domaine pourtant scientifique et donc rationnel par essence. Les entreprises pharmaceutiques, comme Pfizer, doivent donc prendre en considération les évolutions comportementales, répondre aux nombreuses questions que se pose la population, faire preuve de pédagogie pour expliquer la manière dont se créent les innovations et les process stricts de sécurité qui encadrent la fabrication et les essais cliniques des vaccins.
Cette idée d’une décision vaccinale autonome devrait aller de pair avec un accès équitable et généralisé à l’information et aux soins. La réalité est toute autre : des facteurs sociologiques entrent également en compte. Les disparités sont nettes en France, entre le Nord et le Sud, entre zones rurales et centres urbains, entre catégories socio-professionnelles. Quand certaines régions affichent des taux de couverture vaccinale élevés, portés par une offre médicale plus large et des relais de prévention plus développés, d’autres souffrent de taux significativement plus bas. Les raisons sont complexes : une moindre accessibilité aux relais de prévention et de vaccination, un rapport plus méfiant et distant avec les acteurs de santé.
La décision vaccinale est donc multifactorielle. Le choix personnel s’explique par de nombreuses raisons, qu’il convient de comprendre pour mettre en place des stratégies efficaces, afin de faire bouger les lignes de la vaccination en France.
Du réflexe défiance au réflexe confiance
Comment passer de cette logique de défiance (consciente ou inconsciente) à une logique de confiance plus généralisée envers la vaccination ? Les pistes de réflexion sont nombreuses ; en voici quelques-unes :
1. Informer plus clairement
Difficile d’accorder sa confiance à ce que l’on ne comprend pas. Les explications scientifiques, fondées sur la logique de preuve et reposant sur des données rigoureuses et vérifiées, sont évidemment nécessaires, mais ne se suffisent plus à elles-mêmes. De même que la communication descendante n’est plus forcément pertinente. Il convient de mieux comprendre où et comment les Français s’informent, savoir ce qui leur parle et comment ils décident ou non de se faire vacciner, afin de mieux aller les chercher, les informer et les engager.
Il y a donc un enjeu de communication avec des messages et des formats qui s’adaptent à différents publics et leurs attentes. Les campagnes de sensibilisation doivent être mieux ciblées, utiliser des formats affinitaires et être portées par des figures de confiance pour les différents publics (professionnels en première ligne, experts reconnus, influenceurs, témoignages de patients).
Par ailleurs, ces campagnes doivent insister plus fortement sur le bénéfice collectif de la vaccination. Un exemple parlant : les cas de poliomyélite ont chuté de 99% dans le monde grâce à la vaccination. Si nous avons pu y arriver pour la poliomyélite, nous pouvons le faire pour d’autres maladies, à condition de s’y mettre tous ensemble.
2. Simplifier l’accès à la vaccination
En 2023, un sondage réalisé par Ipsos pour Pfizer révélait que moins d’un Français sur deux était « certain d’être à jour concernant son statut vaccinal. » Comment y remédier ? Tout d’abord, certains dispositifs fonctionnent bien : il faut le souligner. C’est le cas des bons de vaccination envoyés par l’Assurance Maladie, et qui sont une première réponse très efficace pour atteindre des publics cibles. L’un des freins à la vaccination que l’on soulève le plus souvent est la complexité du calendrier vaccinal. Il faut donc simplifier, afin d’améliorer la lisibilité du calendrier et accompagner cela d’une communication proactive des institutions de santé.
Un autre levier pour favoriser l’accès à la vaccination est le recours aux acteurs de proximité, principalement les professionnels de santé sur le terrain. L’arrêté du 8 août 2023 (nouvelle fenêtre) a élargi leurs rôles respectifs, en y ajoutant des compétences vaccinales. Aider chacun d’entre eux - pharmaciens, infirmiers, sages-femmes - à s’approprier ce rôle étendu, c’est aussi les aider à être des relais de proximité privilégiés, à répondre aux questions et dissiper les craintes.
3. Innover pour faciliter l’adhésion
Pfizer et les autres entreprises pharmaceutiques ont également un rôle à jouer dans cette simplification, en innovant continuellement pour concevoir des vaccins simplifiés et adaptés aux attentes des personnes. Cela passe par le développement des monodoses (des vaccins nécessitant une seule injection), des vaccins combinés (qui protègent simultanément contre plusieurs maladies), ou par la co-administration (plusieurs injections en un rendez-vous unique) pour limiter les coûts et les rendez-vous médicaux. Nous avançons chaque jour en ce sens.
4. Faire de la prévention une réflexion collective
En simplifiant les démarches et l’accès à la vaccination au plus grand nombre, nous pourrons ainsi retrouver l’élan collectif qui fait l’essence de la vaccination ; celui qui nous pousse à éradiquer ensemble des maladies, aussi lointaines nous paraissent-elles. Dès le plus jeune âge, l’éducation à la vaccination doit être renforcée pour que l’on comprenne son rôle, en intégrant ses enjeux dans les parcours scolaires. L’insérer dans des actions locales et dans les discussions sur les réseaux sociaux permettra d’installer un véritable réflexe vaccination.
La vaccination est l’innovation médicale ayant sauvé le plus de vies dans l’histoire de l’humanité : 154 millions de vies au cours des 50 dernières années. Son efficacité et sa pérennité reposent sur son acceptation. Créons ensemble ce pacte de confiance.
Nos suggestions